Un dirigeant d’entreprise souhaite acquérir une résidence secondaire. Pour éviter d’utiliser ses deniers personnels, sur lesquels il a déjà payé l’impôt sur les revenus, il envisage l’acquisition du bien avec sa société: la société acquiert l’usufruit et lui-même en acquiert la nue-propriété.

Cette acquisition démembrée présente plusieurs avantages:

1. une partie importante du prix de l’acquisition du bien est financé par la société;

2.  la société, qui bénéficie de l’usufruit, c’est-à-dire de l’usage du bien (utilisation du bien à titre de bureau par exemple) et des fruits qui peuvent en être retirés (loyers), peut aussi mettre le bien à la disposition de son dirigeant;

3. à l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire, en l’occurrence le dirigeant d’entreprise, devient plein propriétaire du bien, à moindre frais.

Cependant, ces avantages doivent être maniés avec précaution.

Déduction des frais

En effet, la jurisprudence actuelle considère que les frais relatif à l’usufruit ne sont déductibles dans le chef de la société qu’à certaines conditions. La question principale à se poser est de savoir si les frais ont été supportés avec l’intention d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.

Certes, la Cour de cassation considère que pour que des frais soient déductible, il faut que la société ait eu une intention d’acquérir ou de conserver ces revenus, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que des revenus ont réellement été perçus par la société, néanmoins, cette intention ne peut être simplement présumée voire supposée.

Il est nécessaire que l’intention soit incontestable, qu’il n’y ait aucune équivoque au moment où ces frais sont supportés.

Si ce n’est pas le cas, les frais relatifs à l’immeuble en question ne seront pas déductibles.

La société peut-elle considérer que la mise à disposition gratuite de l’immeuble au profit de son administrateur constitue alors de la rémunération? Voilà qui règlerait le problème de la déductibilité des frais puisqu’alors, les frais effectués dans cet immeubles auraient un caractère professionnel !

La théorie de la rémunération suppose cependant qu’il puisse se justifier que cet administrateur perçoive une rémunération supplémentaire par rapport à celle prévue contractuellement.

Cette justification sera utilement apportée si l’administration peut démontrer des prestations effectives supplémentaires par rapport aux prestations effectuées avant l’acquisition scindée, des prestations effectives réelles qui soient la contrepartie de la mise à disposition gratuite de l’immeuble.

Il pourra aussi être utile d’intégrer dans une convention à conclure entre l’administrateur et la société le principe et le mode de calcul de cette rémunération.

Comment valoriser l’usufruit?

Il sera préférable de valoriser l’usufruit en utilisant la formule suivante, pour éviter toute taxation d’un avantage de toute nature si le dirigeant acquiert la nue-propriété, ou la taxation d’un avantage anormal et bénévole dans le chef de la société si c’est un tiers qui l’acquiert:

     VU= H/r x [1-(1/(1+r) exposant n

avec VU = valeur actualisée d’un usufruit temporaire, H= revenu locatif annuel net, n = durée de l’usufruit en année et r = rendement locatif annuel net.

Pour éviter dans la mesure du possible un litige relatif à cette valorisation, il sera utile de recourir à un réviseur d’entreprise pour valoriser le droit et l’intérêt économique de l’opération, prévoir une durée suffisamment longue, c’est-à-dire actuellement 30 ans mais la durée maximale sera de 99 ans dès l’entrée en vigueur du nouveau droit des biens, le 1er septembre 2021, contrôler la valeur en se basant sur des comparaisons et plus précisément des annonces immobilières, demander à un expert de valoriser l’immeuble.

 Quelle taxation en fin d’usufruit?

En fin d’usufruit, le nu-propriétaire pourrait être taxé sur un avantage de toute nature (ATN) s’il profite des travaux réalisés par l’usufruitier. Si le nu-propriétaire est un tiers, par exemple le conjoint de l’administrateur, la société pourrait être taxée sur l’avantage anormal et bénévole (AAB) ainsi accordé.

Pour éviter cette taxation, l’usufruitier s’abstiendra de réaliser de gros frais de construction en fin d’usufruit dont il serait évident que la société ne tirerait aucun usage.

Les grosses réparations restant à charge du nu-propriétaire, celles-ci seront prises en charge par ce dernier. Dans la nouvelle loi relative au  droit des biens, il est prévu que le nu-propriétaire qui aura réalisé de grosses réparations pourra exiger de l’usufruitier qu’il participe à ces frais de manière proportionnelle à la valeur de ses droits dans le bien. cela signifie que chaque partie devra désormais contribuer aux grosses réparations en fonction de l’utilité économique qu’il peut en retirer.

Pour éviter cette taxation d’un ATN ou d’un AAB, actuellement, le nu-propriétaire peut aussi indemniser le nu-propriétaire pour les travaux qu’il a réalisé, soit en tenant compte de la valeur de ces travaux, soit de la plus-value apportée par ceux-ci à l’immeuble.

Avec l’entrée en vigueur du nouveau droit des biens le 1er septembre 2021, il y aura une généralisation de l’obligation d’indemniser le nu-propriétaire en considération de ce qui sera appelé ‘l’enrichissement injustifié’.

Il faudra alors agir avec prudence et éviter, comme aujourd’hui, de faire réaliser des travaux somptuaires par la société nu-propriétaire, peu avant la fin de l’usufruit.

Anne-Thérèse Desfossés, avocat spécialiste en droit fiscal – atd@wbcj.be

 

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